L’été très prisé, l’hiver plutôt désert. Le long des sentiers du littoral, les maisons aux volets fermés se succèdent en basse saison bretonne. Des logements secondaires qui sont vides une majeure partie de l’année. Quelles conséquences se cachent derrière ces maisons qui bordent la mer, les volets clos ?
Juin 2021. Belle-Île-en-Mer. Pascal Bordier débarque sur l’île en tant que saisonnier dans un restaurant. Cette année, comme beaucoup d’autres, il logera en tente, faute de trouver mieux à moindre coût. Les jours de travail passent et, c’est bien connu, le temps n’est pas toujours clément sur cette île du Sud de la Bretagne. Sans compter que Pascal approche les 45 ans et qu’après plusieurs nuits sur un matelas auto-gonflant, son dos le fait souffrir.
À Belle-Île-en-Mer, les informations circulent vite. Les saisonniers passent souvent devant ces demeures inoccupées à l’année. Un jour, Pascal tente le coup. Accompagnés d’autres saisonniers, ils entrent illégalement dans l’une de ces maisons fermées, passent un coup de balai et profitent d’une bonne nuit à l’abri de la pluie.
Au bout de quelques jours, Pascal est pris de culpabilité, il finit par se dénoncer lui-même aux gendarmes de l’île, qui le délogent en deux temps, trois mouvements.
La maison que Pascal a occupée appartient à une retraitée de 86 ans, habitante du continent breton. Une maison vide selon la saison comme il y en a des dizaines sur l’île. En 2018, à Belle-Île-en-Mer, presque 60 % des logements étaient recensés comme résidences secondaires. Jusqu’à 70 % dans l’une des quatre communes de l’île.
“ Finalement, Pascal n’a eu qu’une amende avec sursis. C’est une victoire pour nous ”, raconte Olivier Ferrando, habitant de l’île depuis une trentaine d’années. Olivier est membre du collectif Enez Ar Gêrveur è stourm (Belle-Île en lutte, en breton) ainsi que d’Un Ti Da Bep Hini (Un logement pour tous, idem). Soutien de Pascal Bordier, il affirme n’être encarté dans un quelconque parti. Olivier Ferrando ajoute : “ Ça fait un moment qu’on alerte sur le sujet d’un trop grand nombre de résidences secondaires. ”
" C’est drôle, pourtant à Belle-Île-en-Mer, il y a vingt ans, tout le monde avait les clés des maisons secondaires des autres. Les familles se les prêtaient pour accueillir des amis. Lors d’un mariage, mes parents avaient logé dans la maison d’un chirurgien qui avait une maison de vacances là-bas ", se remémore Emma* dont la grand-mère habite l’île.
Le long du littoral breton, en basse saison, bon nombre de maisons, des grandes demeures aux petits pavillons, ont les volets clos. À Damgan, petite ville du Morbihan, on peut lire sur une pancarte “ Damgan : 1500 habitants à l’année, 30 000 habitants en haute saison ”
Quelles sont les conséquences de ce déséquilibre ? Comment y faire face ?
Selon l’Insee, la part de logements secondaires représente 13,3 % des habitations en Bretagne, et depuis trente ans, cette part a augmenté de 65 %. Il convient de noter que les résidences principales ont également augmenté de 61 % dans cette même région. Les logements secondaires peuvent avoir différents usages : le bien peut être loué à l’année ou au gré des saisons, mais peut aussi être occupé occasionnellement par la famille qui le possède. Pour le géographe, économiste et démographe français Gérard-François Dumont, “ les résidences secondaires ne peuvent être considérées comme répondant à un besoin essentiel de logement et pourraient presque être considérées comme une forme de « luxe » ”.
Avoir un pied à terre à quelques kilomètres de chez soi pour respirer le temps d’un week-end s’est généralisé depuis les Trente Glorieuses. Au lendemain des négociations sociales et salariales de mai 1968, investir dans un logement de vacances devient attrayant. D’un côté, le temps de travail des ménages est revu à la baisse, mais de l’autre les voyages à l’étranger restent chers et peu accessibles. Posséder un pied à terre sur le littoral ou à la montagne, quand on habite dans un appartement en ville, permet de souffler pour ceux qui peuvent se le permettre.
En revanche, à partir des années 1990, la course à la résidence secondaire s’essouffle car le chômage augmente et les ménages préfèrent investir dans leur résidence principale individuelle. En parallèle, Internet permet aux voyages low-cost à l’étranger de se développer, la soif de découvrir d’autres continents attire plus que de passer toutes les vacances dans un cadre vacances familial. Trente ans plus tard, le slow-tourisme et le Covid-19 viennent inverser la tendance. Les familles s'offrent des loisirs et des visites plus proches de chez elles.
Les confinements successifs poussent les gens à repenser leurs habitudes et cadres de vie. À se diriger vers des environnements plus respirables et plus grands quand ils en ont les moyens. “ Depuis le Covid-19 la situation est devenue complètement disproportionnée à Belle-île-en-Mer ”, se désole Olivier Ferrando.
“ Beaucoup de clients ont redéfini avec leurs employeurs des modalités de travail pour avoir plus de télétravail, donc ils peuvent venir vivre en Bretagne à mi-temps ”, observe Agnès Hervé, mandataire immobilière sur le littoral au nord de la région. Une conséquence décuplée par l’arrivée de la ligne LGV reliant Paris à Rennes depuis 2017. Selon elle : “ Les gens qui cherchent à s'installer en Bretagne, pour une résidence secondaire ou principale, le font plus parce qu'à Saint Brieuc, on est à 2h15 de Paris. ” Pour Agnès Hervé, un autre facteur vient peser dans la balance : le climat. “ Je l’entends souvent. La Bretagne a un climat qui attire beaucoup. Et on reste moins cher que d'autres régions. Les prix se sont envolés en Bretagne, c’est vrai. Mais ils se sont envolés partout en France. ”
Un engouement qui fait flamber les prix du marché
L’engouement à posséder un pied à terre sur le littoral ou sur une île bretonne engendre une forte spéculation immobilière et l’accumulation par un même propriétaire de plusieurs biens immobiliers participe à cette spéculation. “ On est passés de 2000 à 4000 euros le m2, en 2 ans dans la commune de Binic-Etables-sur-Mer. À quelques kilomètres de là, j'ai vu des biens au Val André passer à 9000 euros le m2 ”, explique Agnès Hervé.
Pour cette mandataire immobilière, les familles cherchent à investir dans un logement secondaire pour que celui-ci puisse devenir une résidence principale à l’approche de la retraite. “ C’est une grosse difficulté. Il faut que le bien corresponde à des caractéristiques différentes. ” Là où une petite maison suffit pour passer quelques jours de repos dans l’année, les familles veulent acheter de plus grandes pièces de vie pour avoir de la place quand celle-ci deviendra leur résidence principale. Ces grandes maisons sont donc plus vite réquisitionnées pour devenir des habitations secondaires.
C’est le cas d’Yves*, récent acquéreur d’une maison dans le Morbihan, à Belz, sur la route entre Lorient et Quiberon. Ce jeune retraité habite non loin de Rennes. “ Le but c’est de s’installer à Belz sur du long terme. En attendant que ma compagne soit à la retraite, dans 8 à 10 ans. On a encore un peu le temps.” Le couple a mis un an avant de trouver le bien qui les convenait. “ On voulait venir ici parce qu’on a de la famille dans le coin. ”
“ Le cahier des charges des acquéreurs a beaucoup changé depuis le covid-19. Ce sont des critères à n'en plus finir, déplore Agnès Hervé. Les prix ont tellement monté que les clients fixent des exigences à hauteur de leur budget, ce qui peut se comprendre, s’ils ont les moyens.” Selon Agnès, les annonces partent tellement vite qu’il ne devient même plus nécessaire de les publier sur internet ou en agence : " Ça crée un marché parallèle. "
D’une flambée du marché au réchauffement climatique
Sur le littoral, cette flambée du marché de l’immobilier pousse les gens à faire construire en périphérie des villes côtières, où le prix au m2 est davantage accessible. Une solution économique pour les ménages plus modestes, mais problématique pour l’environnement.
Saint-Lunaire, mars 2022
“ La construction de ces maisons, des pavillons à moindre coût, grignote des terres naturelles ou agricoles ”, observe Nil Caouissin, professeur d'histoire-géographie et de breton actuellement élu au conseil régional de Bretagne sur la liste de UDB (Union Démocratique Bretonne). Que ce soit pour du logement secondaire ou pas, d’ailleurs. L’artificialisation des sols par le goudron et le béton a de lourdes conséquences pour l’environnement : perte de biodiversité et risques climatiques. Un triste paradoxe pour cette région qui attire pour un climat mais dont l’attractivité alimente la spirale du réchauffement terrestre.
Une observation d’autant plus frustrante qu’à Saint Cast-le-Guildo, par exemple, il y a 66,4 % de résidences secondaires qui ne sont pas occupées à l’année. Dans les îles, le marché est tellement tendu, que faire construire sur le littoral devient un luxe que seuls les plus fortunés peuvent se permettre. “ Ceux qui ont les moyens de venir s’installer à Belle-île-en-Mer, viennent consommer un lieu, un paysage, une vue sur mer, une ambiance. Le souci c’est que ça se fait au détriment du respect de l’environnement ”, déplore Olivier Ferrando. “ Il y a eu une demande de construction, récemment en Bretagne : une maison avec … sept salles de bain et une piscine ! ”
Là encore, de telles maisons peuvent avoir de lourdes conséquences sur l’état des nappes phréatiques dans la région. À la fin mars 2022, aucune nappe d’eau souterraine n'était à la hausse et 61 % de ces nappes se situaient à un niveau de très bas à modérément bas par rapport aux normales mensuelles, selon l’Observatoire de l’Environnement en Bretagne (OEB).
Les moyennes de températures sont relativement douces en Bretagne. Aujourd’hui, il est difficile de ne pas voir que le réchauffement climatique rend les températures de la région encore plus agréables, là où, dans le Sud de la France, les chaleurs d’été sont de plus en plus étouffantes. D’ailleurs, des agriculteurs commencent même à planter des vignes en Bretagne.
“ Pendant les grosses chaleurs il y a un an, on est parti marcher dans les Côtes-d’Armor. C’était l’une des seules région française où la température se prêtait bien à la randonnée ”, raconte Angèle, la sœur d’Yves.
Entre haute et basse saison, une fracture économique
Pourtant les infrastructures des villes ne sont pas toujours adaptées aux forts écarts qui persistent entre hautes et basses saisons. En témoignent les stations d’épuration : construites pour pouvoir traiter les eaux usées selon le nombre d’habitants le plus haut, celles-ci tournent à bas régime en basse saison : “ Ça oblige les villes à faire payer un forfait à l'eau élevé pour financer l’ensemble de l’infrastructure, donc ça coûte plus cher pour les habitants à l’année ”, explique Nil Caouissin. Il ajoute : “ Si la facture se faisait par abonnement, le manque à gagner serait trop important pour les collectivités ”
Pourtant, désireuses d’accueillir un plus grand nombre de personnes, les villes continuent d’investir dans de plus grandes infrastructures, actuellement saturées l’été. Ces travaux ont tout de même une conséquence positive : l’emploi. En effet, l’ensemble de ces pavillons neufs et ces maisons rénovées aux standards actuels emploient beaucoup. En 2019, le bâtiment employait en Bretagne 52 472 salariés répartis dans 22 810 entreprises.
Pour les petits commerces de proximité, sur le littoral, il est important de bien faire son calcul. D’un côté, il y a ceux qui se cantonnent à tenir un magasin éphémère, de l’autre il y a ceux qui comblent les vides de l'hiver avec la haute saison.
“ Il suffit de moins dépenser, de moins investir. C’est un jeu de calcul et puis, à partir de Pâques, en avril, ça repart à la hausse ”, explique Séverine Mouton, présidente de l’Union commerciale servannaise, à Saint-Servan (commune de Saint-Malo). Des périodes creuses et des périodes hautes, il y en a toujours eu mais, dans le quartier de Séverine, les commerçants sont ravis, il y a du flux de clients en permanence, que ce soit des touristes ou des habitués. Elle ajoute : “ Ça ne nous empêche pas de vivre.”
Pour des raisons personnelles, Séverine habite à Dinan. Elle fait la route régulièrement entre Saint-Malo et Dol-de-Bretagne, où elle vient d’ouvrir son nouveau salon d’esthétique. Une décision qui ne la déçoit pas pour autant : “ On le voit bien, c’est difficile d'habiter à Saint-Malo. Mais changer de ville après le travail, ça permet de couper un peu. De se créer d’autres liens ! ”
Un loyer étudiant presque aussi cher qu’à Paris
Si Séverine n’en voit pas d'inconvénient, habiter loin de son lieu de travail peut être une charge financière supplémentaire pour d’autres. La profusion de ces logements secondaires fait émerger un autre problème : il est de plus en plus difficile de louer un bien à l’année ou sur du long terme.
Le développement de plateformes telles que Airbnb ou Abritel ont nettement facilité les démarches de location de courtes durées. Une maison peut être louée à la semaine en haute saison pour le même prix qu’une location longue. Un marché de plus en plus rentable pour les propriétaires, en témoigne l’essor des entreprises de conciergerie. Cela permet aux propriétaires d’optimiser leurs biens, mais cela empêche les plus précaires et les plus jeunes d’accéder au marché locatif de longue durée. Nil Caouissin explique : “ Le développement des locations courtes durées ont retiré du marché des logements qui étaient destinés aux étudiants à la base. Ce phénomène est venu s’amplifier dans les petites villes. ” C’est le cas de Mathilde.
Airbnb
à Saint-Malo
En matière de logements secondaires voués à être loués sur de courtes durées, Saint-Malo a mis en place une politique drastique à base de quota individuel. Une personne ne peut mettre qu’un seul logement en location touristique. La ville contrôle ensuite les taux de logements saisonniers par quartier : par exemple, cela ne peut pas dépasser 12,5 % dans le centre historique de la ville.
Après ses études au cours Florent à Paris, elle décroche un service civique au Lycée hôtelier de Dinard, en novembre 2021. Après un mois à la recherche d’un appartement à louer, la jeune fille de 22 ans abandonne, bredouille.
“J’avais un budget de 500 € par mois. À Dinard, certains appartements coûtent presque aussi chers qu’à Paris. D’accord, c’est une station balnéaire, mais il ne faut pas abuser non plus ”, se désole Mathilde.
Au-delà du prix, les logements disponibles en location sont de véritables passoires énergétiques selon elle : “ En plus de devoir chauffer beaucoup pour pas grand chose, le loyer revient finalement trop cher. ”
Quand elle finit le travail tard, elle est hébergée dans un logement de fonction propre au lycée hôtelier. Le reste de la semaine, Mathilde prend le car, et rentre chez ses parents, à Dinan. Un trajet qui dure 45 minutes, soit 1h30 de car dans la journée.
“ Les logements en périphérie de Dinard sont plus abordables, mais il nécessitent de prendre la voiture au quotidien, ça coûte cher en carburant et en assurance ”, explique la jeune fille, non véhiculée.
Le lycée hôtelier où Mathilde travaille est très demandé dans la région. Si celui-ci peut héberger certains élèves dans son internat, les places restent rares. “Des lycéens sont obligés d’aller dans l’internat d’un lycée à Saint-Malo. Au début c’était provisoire, mais comme ils ne trouvent pas de solutions pour accueillir plus de monde, ils restent là-bas ”, explique Youn, en deuxième année de BTS hôtellerie restauration. Une fois le bac en poche, ce jeune homme a dû faire une croix sur l’internat : “ Les étudiants en BTS doivent trouver leur propre appartement.” Youn fait partie des mieux lotis : “J’ai anticipé en commençant à chercher sur Dinard en mai pour le mois de septembre. Pourtant c’est mort Dinard, il n’y a pas grand monde à l’année ”, se désole Youn. Sauf quand le beau temps revient : “ On voit les Parisiens qui débarquent et les Rennais qui remontent. ”
À quelques kilomètres de chez Youn, Marguerite* et Marcelle* ont toutes deux respectivement des appartements secondaires. Ces cousines qui frisent les 90 ans ont hérité à Dinard, ancien investissement de leurs parents, à une époque où le marché de l’immobilier était florissant. Marguerite et Marcelle ont pris de l’âge. S’il est devenu trop difficile pour ces deux Rennaises de marcher, il est encore plus compliqué de partir quelques jours dans ces appartements de vacances, inadaptés à leur grand âge. Marguerite prête l’appartement à son frère et à ses petits neveux quelques jours de façon très occasionnelle. Celui de Marcelle est devenu inoccupé depuis quelques années.
“ C’est frustrant de savoir ça, ajoute Mathilde. Ça pourrait leur faire une petite rentrée d’argent, si ces appartement pouvaient être loués par des jeunes comme nous.” “ Le droit de se loger devrait primer sur le droit à la propriété ”, se désole Nil Caouissin.
Manifeste pour un statut de résident
Pour pallier ces problèmes, des activistes locaux tentent de proposer des solutions viables. Argument politique de taille pour les élections régionales en 2021, Nil Caouissin prône un statut de résident. Dans son Manifeste pour un statut de résident en Bretagne, il propose de réserver l’achat de bien immobilier aux acquéreurs qui vivent depuis un an au minimum dans la région. Ce statut est largement revendiqué dans les régions les plus indépendantistes de l’hexagone, telles que la Corse, par exemple. “ En Corse ce statut fait consensus, il commence à être plébiscité par des partis qui ne sont pas nationalistes ”, explique le professeur.
“ Le but de ce statut, ce n'est pas seulement de faire baisser la demande en résidence secondaire, c'est aussi de permettre à des gens qui ont été exclus de certains territoires de de s'y réinstaller, en particulier le littoral ”, explique Nil Caouissin. Selon ce dernier, une année paraît être une demande raisonnable si l’acquéreur veut vraiment s’installer et participer à la vie locale : “ À Jersey, et dans d’autres endroits en Europe, il faut attendre cinq ans si on veut pouvoir acheter un jour ! ”
D’ailleurs, selon Agnès Hervé, en l’état du marché immobilier, il faut parfois attendre plus d’un an pour espérer trouver une maison ou un appartement qui correspondra aux acquéreurs. " On pourrait essayer ce statut dans les îles bretonnes, ça pourrait être un bon début pour limiter la pure spéculation ", propose Olivier Ferrando.
Une proposition de régulation pourtant largement ignorée par le président de Région Loïg Chesnais Girard, qui ne souhaite pas d'une salle d’attente pour recevoir un passeport breton. Il annonçait dans un article de Ouest France du 7 juin 2021 qu’un tel statut serait “ (...) dangereux, inefficace et contraire à la Bretagne, son intérêt et ses valeurs. ”
Saint-Lunaire, mars 2022
À cette critique, la réponse des partisans du statut de résident est unanime : “ On ne prône pas un repli sur soi. On veut seulement réguler les flux d’arrivées pour accueillir tous les gens dans les meilleures conditions possibles ! ” Nil Caouissin précise : “ Il ne s’agit pas d’empêcher les gens de posséder un logement secondaire. Mais de réguler ce marché.” Ce professeur insiste sur la disparité des territoires : en centre Bretagne la tension immobilière n’est pas la même qu’au bord du littoral.
Bien consciente du problème de cette Bretagne aux volets fermés, Laurence Fortin ajoute : “ Une Bretagne qui oppose les uns et les autres, ce n'est pas une Bretagne qui avance. On n’y arrive pas comme ça.”
Selon l’opposition, le statut de résident serait même anticonstitutionnel et contraire au droit européen. " On ne m'a jamais cité la ligne qui dit qu'un statut de résident serait contraire à la Constitution ", déplore Nil Caouissin. Ce dernier est toutefois content d’une chose : après avoir fait polémique, sa proposition de statut de résident à permis de recentrer le débat sur une régulation de l’accumulation des biens immobiliers au sein des discours politiques.
Pourtant, si les Bretons veulent espérer de vraies régulations, le changement doit se faire à l’Assemblée Nationale. "On est à quelques semaines de l’élection présidentielle et aucun candidat n’a mis le sujet du logement sur la table ", ajoute Laurence Fortin. Si le statut de résident en Bretagne peut espérer être mis en place un jour, “ il faut que ça passe par le législatif ”, confirme Nil Caouissin.
Une prise de conscience encore timide
Malgré la polémique du statut de résident, une prise de conscience émerge dans le discours politique. “ La régulation des logements de courte durée était presque taboue il y a 3-4 ans ”, se réjouit Olivier Ferrando. Il ajoute : “ On aimerait au moins pouvoir être classés en zone tendue.” Pour un terrain ou un logement vacant classé en “ zone tendue ”, l’Etat impose une taxation particulière, en plus, afin de dissuader sur la spéculation ou la possession inutile d’un bien. Pour les locations situées dans ces mêmes zones, c’est un meilleur encadrement des loyers en faveur des loueurs.
Le mot de : Nil Caouissin
Du côté de la Région, la communication ne se fait plus sur le littoral et sur les îles, mais sur des zones touristiques dans les terres : “ On fait la publicité de la Bretagne sur neuf territoires de destination, comme le pays de Brocéliande, par exemple ”, explique Laurence Fortin. “ La région n’a pas de réelle compétence sur l’habitat. Elle doit travailler avec les acteurs des différents territoires. Mais on peut choisir de financer ou non un projet, de le soutenir ou pas ”, elle poursuit. Ainsi, si une commune ne met pas en place au minimum 20 % de logements sociaux, la Région n’apporte pas d’aide financière.
Une maigre pierre à l’édifice puisque selon la loi solidarité et renouvellement urbain, le taux minimum des logements sociaux dans une ville est calculé par rapport au nombre de résidences principales. “ S’il y a 50 % de résidences principales, ça fait deux fois moins de logements sociaux à fournir ” se désole Nil Caouissin. Or les logements sociaux sont un bon moyen de rendre accessible les villes du littoral aux logements les plus modestes.
“ Les élus essaient de mettre le sujet sur la table depuis quelque temps. Et c’est positif, mais ils manquent d’ambition.” Pour Olivier Ferrando, les choses ne vont pas assez vite et la spéculation continue d’augmenter considérablement : “ On ne voit pas quand ça va s’arrêter. ”
Agnès Hervé ne voit pas les choses sous le même œil. Selon la mandataire immobilière, la spéculation peut redescendre si les taux bancaires augmentent à nouveau. Les très bas taux d’emprunts proposés par les banques encouragent à emprunter plus. Ces taux attractifs ont poussé de nombreux acquéreurs à se dépêcher d’investir. Une tendance qui pourrait finir par faire remonter les taux d’emprunts, in fine. Elle explique : “ Les notaires commencent à avoir quelques refus de prêts. On n'avait pas vu ça depuis deux ans. Ça ne va pas bouger d'un coup. Les pronostics sont difficiles mais on aura sûrement un plateau de stabilité pendant 3-4 ans avant d’espérer que le marché redescende ”
Vers d’autres façons de se loger ?
Malgré les désaccords politiques des uns et des autres, un consensus persiste : “ Il faut revoir nos façons de nous loger pour les années à venir ”. Laurence Fortin y travaille : “ Il faut qu’on réfléchisse à de nouveaux outils innovants sur l’habitat. Il faut concilier le problème qu’ont les jeunes à se loger avec les plus âgés qui ont des maisons vides après le départ de leurs enfants. Qu’on favorise les OFS (offices fonciers solidaires) ! ”
Les OFS
qu’est ce que c’est ?
Dans l’air du temps pour tenter de limiter la spéculation financière dans les villes, les Organismes Fonciers Solidaires (OFS) permettent aux ménages les plus modestes d’acheter une maison un peu moins chère. Ces OFS achètent et gardent des propriétés foncières (un terrain), sur lequel un bien bâti peut être construit. Concrètement, en faisant appel à un OFS, un nouvel acquéreur peut faire construire une maison sur un terrain qu’il louera à moindre coût à ces organismes. En dissociant le foncier du bâti, les OFS créent un 3e droit de propriété permettant une meilleure mixité sociale.
L'émergence du télétravail redéfinit aussi le devenir des bureaux et open-space. “ Des tas de bureaux se vident. Il faut travailler main dans la main avec les collectivités, les architectes et les élus pour partager les espaces de vie ”, ajoute Laurence Fortin avec enthousiasme.
Le mot de : Laurence Fortin
En attendant, les familles aux moyens plus modestes tentent d’autres solutions pour pouvoir, elles aussi, avoir un pied à terre sur le littoral. C’est le cas de Sylvie et Marc, habitants au sud de Rennes. Attachés au bord de mer, ils ont souhaité avoir un petit pied à terre sur le littoral.
Après quelques rapides recherches, le couple a décidé d’investir dans un mobile-home sur le littoral, à la frontière entre l’Ille-et-Vilaine et la Loire Atlantique. Le coût ? 28 000 € pour l’achat du mobile-home meublé, plus un loyer de 3000 € par an pour le camping qui héberge ce dernier, en comptant l’eau et l’électricité.
“ Ça permet d’avoir un pied à terre sans faire de compromis à côté : on peut continuer d’aider nos enfants financièrement pour leurs études parce qu’on a pas eu à contracter de prêt. Et c’est plus facile à entretenir qu’une maison ”, explique le couple. Un achat dont ils sont ravis. Le mobilhome est occupé tout le temps, quand le camping est ouvert (d’avril à octobre, ndlr).
“ Dans le contrat avec le camping il y a six bénéficiaires : donc six personnes qui peuvent venir quand elles veulent et qui peuvent inviter également d’autres amis ” Un mobile-home partagé, qui donne même l’accès à la piscine du camping pour pouvoir, là aussi, profiter d’une baignade partagée.
* Le prénom a été changé
Contactés, aucun élu municipal n’a répondu aux demandes d’entretien.